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Histoire de la médecine et sommeil
"Le long dormir fait venir les robes déchirées"
Evêque britanique William Chappell (1582-1649).
mercredi 26 décembre 2007, par
Un article en marge de la médecine du sommeil pour s’amuser de la naïveté des conceptions médicales d’autrefois et la façon "ad hoc" d’interpréter certaines observations.
Pour autant, il faut rappeler que ces médecins du passé faisaient preuve de beaucoup de bon sens et avaient par exemple parfaitement compris l’importance de la relation médecin-malade.
Citons par exemple Hippocrate : « Si le public voyait au médecin le corps piètre et perdu, comment le croirait-il capable de soigner la santé des autres ? »
Il est paraphrasé en cela par Ambroise Parré qui, dans son "Introduction à la chirurgie" rappelle cet adage : « Le chirurgien ayant la face piteuse rend à son malade la plaie vermineuse. »
Son contemporain Rabelais va plus loin quand il affirme que « le rire est aussi nécessaire à l’homme que la nourriture, et bien souvent la meilleure thérapeutique ». D’après lui les paroles du médecin doivent « tendre à cette fin, c’est de réjouir sans offense à Dieu et ne contrister en façon quelconque ». Il est le premier à avoir eu l’intuition que le rire est un formidable "somnicament".
Quant à Aristote (384-322 av. J.C.), il est fascinant de se rendre compte que dès son époque, il avait eu l’intuition du double mécanisme qui détermine la balance somnolence vigilance ...
- Du dormir et du veiller, 1997, par Ambroise Paré, "le chirurgien des rois" [1]
- La pratique des vertus chrétiennes et tous les devoirs de l’homme, vers 1670, par l’Évêque William Chappell (qui explique de manière délicieuse que le "bien dormir" fait partie intégrante des "vertus chrétiennes.")
- Le courant hygiéniste du 19° siècle
INTRODUCTION À LA CHIRURGIE (P 32 et 33)
Du dormir et du veiller - chap XIX -
par grâce et privilège du Roy donné le onzième jour de may 1597.
« Pour traiter aussi brièvement du dormir et du veiller, nous déclarerons leurs utilités et incommodités, le temps et l’heure et la manière de se coucher, les songes que l’on fait en dormant et comme on se trouve après le dormir. »
-« D’où provient le dormir.
Le dormir n’est autre chose que le repos de tout le corps et principalement de la faculté animale. Celui-ci provient d’une humidité utile qui imbibe la surface du cerveau, qui s’appesantit et l’aggrave : ou bien d’une défectuosité de fluides qui, diffusés par le travail, font que le corps ne peut rester debout et contraignent le cerveau à se reposer pour en réparer d’autres à partir des viandes prises dans l’estomac.
Celui-ci préside à la concotion [2] à cause qu’en dormant, le sang, les fluides et la chaleur naturelle se retiennent aux parties intérieures, lesquelles étant réchauffées, cuisent et digèrent ou altèrent mieux, non seulement en l’estomac, mais aussi en tout autre endroit du corps. En outre, il efface par oubliance les passions et les fâcheries et guérit les lassitudes du corps faites par grand labeur. »-« De l’incommodité de dormir le jour.
Le temps le plus commode pour dormir est la nuit parce qu’elle-même incite à dormir, tant pour son humidité et sa tranquillité que pour son obscurité parce que la chaleur et les esprits sont contenus en dedans du corps : comme, au contraire, ils sont retirés en l’habitude du corps par la lumière, qui leur est aucunement semblable et il s’en suit le veiller, et s’ajoute à cela qu’elle a le temps assez suffisant pour faire la parfaite décoction. Au contraire, dormir le jour est mauvais à cause qu’il interrompt la digestion : parce que le temps auquel on dort de jour n’est suffisant pour dûment faire la décoction, et par ce moyen fait faire des crudités en l’estomac et aigreurs et font éfluer de grosses vapeurs humides superflues au cerveau, dont s’ensuivent douleur et pesanteur, tête et maladies froides. »« De plus, combien de dormir de nuit soit sain.
Celui qui est immodéré et superflu fait que les excréments, tant par le haut que par le bas, ne sont pas jetés à temps, et, étant retenus dedans, la chaleur naturelle et leurs vertus attractives leur attire quelque mauvais suc dont s’ensuivent plusieurs maladies. Le temps d’avoir assez dormi se connaît à la parfaite concoction des viandes et non par certaines heures déterminées : car aucuns cuisent plus tôt, les autres plus tard, combien que le plus font la décoction en sept ou huit heures, laquelle se conçoit parce que l’estomac est lâche et non tendu, et aussi que l’urine est dorée et jaune : et, au contraire, l’indice de la concoction imparfaite sont les rots aigres, tension du ventricule [3], douleur de tête et pesanteur de tout le corps. »« Gentil discours de la situation du corps en dormant.
Outre en plus en observant le sommeil, il faut prendre garde à la forme du coucher car il faut premièrement se coucher sur le coté droit, afin que la viande ne se dépose pas au fond de l’estomac d’autant qu’il est charnu et moins membraneux que le dessus et par conséquent plus chaud et propre à la concoction . Puis quelque espace de temps sur le coté gauche afin que le foie se couche mieux sur l’estomac : ce faisant la digestion sera mieux faite d’autant que le foie qui est plus chaud que le ventricule, l’embrassant totalement, lui fera comme un brasier.
Il ne sera pas impertinent, une fois ce second sommeil achevé, le matin, de se retourner sur le côté droit afin que par telle situation l’orifice de l’estomac demeurant ouvert, les vapeurs fuligineuses [4] excité de l’ébullition du chylus [5].
Ceux qui pourront se garder de dormir sur le dos feront bien, craignant de trop réchauffer les reins et engendrer des gravelles [6], pierres et autres grandes maladies ; comme paralysies, convulsion et espèces de catarrhes [7] et fluxions qui se font par les nerfs le long de l’épine. »
« Quant au dormir sur le ventre, il n’est jamais mauvais pour ceux qui peuvent s’en accoutumer, sinon en cas qu’ils soient sujets au mal des yeux : car par telle situation, la fluxion s’encline d’avantage furiceux [8] : mais au reste la concoction en est bien aidée de tant que la chaleur n’est pas seulement retenue aux environs du ventricule mais elle est en outre augmentée par la tiédeur de la délicate plume du lit. »« On doit aussi considérer les songes qu’on a eus en dormant pour connaître les affections et la nature des humeurs superflues et mauvaises.
Aussi, considérer si un malade se trouve mieux ou plus mal après le dormir pour ce qu’Hippocrate [9] dit, qu’alors en maladie, le dormeur se tourne à peine, c’est signe de mort, au contraire non. »
« Le veiller pareillement doit être modéré car l’immodéré corrompt la bonne température du cerveau, débilite les sens, altère les esprits, stimule aigreurs, pesanteur de tête, consommation des chairs et amaigrissement de tout le corps, rend les viscères arides et sèches et plus malignes. »
« Il y a d’autres considérations, qui appartiennent plus au médecin qu’au chirurgien, mais il te suffit de savoir que le dormir et veiller immodérés sont mauvais pour les raisons pré-dites". »
"La pratique des vertus chrétiennes et tous les devoirs de l’homme..."
SECTI0N IX (p 152 ; 154).
Par l’évêque William Chappell, (vers 1640-1660).
"Traduit de l’anglois" par Madame Durel, (1° édition vers 1670).
De la Tempérance à l’égard du dormir : Règles pour le dormir.
« La troisième partie de la Tempérance, regarde le dormir : Et il est certain qu’on y doit aussi observer une raisonnable médiocrité, en y considérant comme dans le manger & le boire, la fin pour laquelle Dieu l’a ordonné, qui est seulement de servir à rafraichir & à fortifier nos corps, car leur constitution est telle, que le travail continuel les lasse & les abat entièrement, & le dormir est le remède contre cette lassitude, parce qu’il répare nos force, & nous met par là en état de retourner à notre travail, & de nous appliquer aux devoirs de notre Religion, & de notre vocation.
Dieu nous a donné le dormir pour nous rendre plus propres au travail, & non pas pour nous rendre plus paresseux & plus fainéants, comme nous donnons du repos à nos bêtes, non parce que nous prenions plaisir à les voir sans rien faire, mais afin qu’elles nous puissent rendre meilleur service. »
« Et par là il est aisé de connaître quel est le dormir qui se peut dire modéré : c’est celui qui tend à nous rafraîchir, & à nous rendre plus capables d’agir, & qui est dans mesure propre à produire ce bon effet ; Mais il est impossible de dire justement en combien d’heures consiste cette mesure là, car il est à cet égard du dormir comme du manger, il y a des tempéraments qui en ont plus de besoin que les autres. Chacun doit être en cela juge de soi même par sa propre expérience, mais il en faut juger justement, n’en pas consulter sa paresse, car, comme Salomon [10].nous l’enseigne dans le livre de ses Proverbes, elle criera toujours, « encore un peu de sommeil, un peu de sommeil, un petit déploiement du bras pour dormir », (Livre des Proverbes, 24. 33). Mais chacun en doit prendre seulement autant que l’on trouve en effet qu’il en faut pour la fin dont je viens de parler. »
Celui qui ne se réglera pas ainsi, tombera dans divers péchés en tombant dans la paresse, qui est un péché général ».
- « Premièrement il perd son temps, ce précieux talent que Dieu lui a commis pour le faire valoir j car c’est perdre son temps que de dormir lors que l’on devrait veiller, & c’est faire justement comme celui qui cache son talent, alors qu’il en devrait trafiquer, & chacun sait l’arrêt du serviteur inutile, Matt.25 18. « Jetez le aux ténèbres de dehors » ; Celui qui s’adonne ici aux ténèbres du dormir trouvera, à la sortie de ce monde, des ténèbres sans repos, mais avec pleurs et grincements de dents. »
- De la"curation" des fureurs utérines
- « Secondement il nuit à son corps, car le dormir immodéré lui cause des maladies, & le rend comme un égout de mauvaises humeurs [11]. selon que l’expérience nous le montre tous les jours. »
- « En troisième lieu, il nuit aussi à son âme , non seulement en la privant du service qu’elle recevrait du corps, mais aussi en rendant ses facultés stupides, & incapables des emplois à quoi Dieu les a destinées : Et la pauvre âme doit un jour rendre compte de tout ce mauvais ménage. »
- « Et même enfin il outrage Dieu, & le méprise en faisant tout le contraire de la fin pour laquelle il a été créé de Dieu, qui est d’agir continuellement pour son service, car celui qui passe sa vie à dormir s’oppose directement à cela, & au lieu que Dieu dit que l’homme est né pour le travail, il dit par sa conduite, tout au contraire, que l’homme est né pour le repos.
Garde-toi donc de t’adonner à l’excès du dormir, où tu vois que tant de péchés se trouvent enveloppés. »« Mais, outre le péché qu’il y a dans le dormir excessif, il est aussi très préjudiciable à plusieurs autres égards : C’est la ruine certaine de ses biens extérieurs, car il n’est pas possible que le paresseux prospère, comme l’a très bien remarqué le Sage [12] , Pro. 23. 21. « Le long dormir fait venir les robes déchirées ». C’est à dire que le paresseux n’aura pas de quoi se vêtir honnêtement, et à peine peut-on dire qu’il vive en effet : Car le dormir étant comme chacun sait une espèce de mort, celui qui s’y adonne avec excès , ne fait autre chose que de mourir avant le temps : C’est pourquoi si on regarde une mort précipitée comme une malédiction, il faut de nécessité que ce soit une étrange manie, de tirer de notre propre paresse ce que nous appréhendons si fort quand il nous vient de la main de Dieu. »
Le courant hygiéniste du 19° siècle« Est-il plus sain et raisonnable de se lever avec le jour et de se coucher tôt ou de se lever tard et de veiller le soir ? Discutez en considérant les saisons, l’effet de la lumière sur les yeux, la santé, l’économie. » (Mimán Contastín, M. 1948. Nuevo método teórico-práctico de lengua francesa, 3r ciclo. Sevilla : Tipografía Andaluza).
- Hygiène pratique
« Celui qui reste longtemps au lit éprouve une certaine pesanteur de tête, et un besoin plus pressant de dormir encore tandis que l’habitude
de se lever tôt nous donne plus de temps pour nos affaires. Une heure de plus que l’on emploie chaque jour, fait déjà beaucoup à la fin d’une seule année ; c’est en quelque sorte autant d’arraché à la mort ; oui mes enfans, d’arraché à la mort ; songez que le sommeil est une espèce d’anéantissement, et le temps que l’on peut lui dérober est un temps réellement acquis ». (Laverdure, 1842)
- Pour "éventer la matrice" selon A. Paré
Sources : Le manuel de français comme adjuvant des disciplines scientifiques : hygiène et sports, dans l’Espagne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.
Voir les articles connexes du site dans la rubrique : "Sommeil et littérature".²
- "Textes d’auteur, et citations".
- "Ainsi parlais Zarathoustra".
- "La Prière de Maïmonide".
- Quelques liens externes pour en savoir plus...
- "Traitement héroïque de la gravelle au moyen des médicaments spécifiques" par Adrien Peladan fils (sur le site d’un médecin homéopathe).
- Dictionnaire portatif de médecine 1771 (1° édition) Jean-François Lavoisien (Google book).
- Dictionnaire portatif de médecine 1793 (2° édition "corrigée & augmentée") Jean-François Lavoisien (Google book)
- BIUM (histoire de la médecine et art dentaire).
- Portraits de Médecins. Biographie de tous les grands médecins de l’Histoire (A Paré et tous les autres).
- "La pratique des vertus chrétiennes ou tous les devoirs de l’homme", édition 1686. : Sources Google Book.
- William Chappell Selon Wikipédia en anglais (traduction Google).
- Rabelais, Médecin. (Pdf.) Une communication de Monsieur Jacques Delivré, 2005 (Academie-stanislas.org).
- Histoire de la médecine et de la chirurgie Un blog très complet par Françoise Soros.
[1] Ambroise Paré (1510-1590) est appelé par les historiens "le chirurgien des rois" (Henry II, François II, Charles IX et Henry III).
On le considère comme "le père de la chirurgie moderne". Il découvrit la ligature des artères qu’il substitua à la cautérisation des plaies par la chaleur du feu, dans les amputations sur les champs de bataille.
On le dit aussi intéressé dès 1557 par l’usage (ancestral) des larves de mouches vertes pour la désinfection des plaies gangrenées. Cette "asticothérapie" est d’ailleurs parfois effectivement utilisée de nos jours dans le traitement de certaines plaies chroniques.
[2] Concoction : terme abandonné en français mais présent dans la langue anglaise pour mélange, mixure
[3] Le ventricule est l’hypocondre : la partie supérieure du ventre : "en l’hypocondre droit est situé presque tout le foie, au gauche la rate et la plus grande portion du ventricule ou de l’estomac " (Furetière). Pléiade, p. 1402.
[4] Une vapeur fuligineuse :(Littéraire) "De couleur noirâtre, qui a les apparences de la suie. " Vapeur : humeur subtile qui s’élève des parties basses des animaux, qui occupe et blesse leur cerveau " (Furetière). Pléiade, p. 1325-26. Les médecins disent que la rate envoie des vapeurs fuligineuses au cerveau "(Furetière). Pléiade, p. 1403.
[5] Le chyle est le résultat de la digestion dans l’intestin grêle, c’est un liquide blanchâtre. Il comporte des nutriments et des substances non digestibles ..., puissent mieux s’exhaler
[6] Gravelle : lithiases d’acide urique ; "tophus" associées à la présence de cristaux intra-articulaires qui provoquent la crise de goutte, un rhumatisme inflammatoire très douloureux.
[7] secrétions d’origines pulmonaire ou respiratoire
[8] furiceux : correspondance introuvable
[9] Hippocrate Médecin grec (île de Cos v. 460 - Larissa, Thessalie, v. 377 av. J.-C.), l’un des plus grands médecins du monde antique de culture grecque, avec Galien. La légende fait de lui le père de la médecine. Les nombreux écrits qui lui sont attribués (qui ne sont pas tous de sa main) proposent des théories qui paraissent aujourd’hui fantaisistes, mais Hippocrate s’intéressa aussi à l’examen du malade et à l’éthique. Son influence se fit sentir en Europe jusqu’au XVIIe siècle. © Larousse-Bordas 1998
[10] Salomon, fils de David et de Bethsabée, est un roi d’Israël (de 970 à 931 avant Jésus-Christ selon la chronologie biblique usuelle). Sa sagesse et sa justice sont proverbiales. Il fait construire le premier Temple de Jérusalem. Son histoire est contée dans le Premier livre des Rois ;
sources wikipédia.
[11] Le roi Louis XIII reçoit en un an 215 lavements, 212 purgatifs et subit 47 saignées", jusqu’à dix-huit en une seule journée. (Source : Histoire de la Pharmacie et des Médicaments)
[12] Le "Sage" est le roi Salomon (le Livre des proverbes).